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La consolidation des codes, lois et décrets : positions doctrinales d’éditeurs ou devoir de l’Etat ? (objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi)

jeudi 4 novembre 2004, par Hervé Moysan

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M. Hervé MOYSAN , Docteur en droit. Editions du Jurisclasseur, directeur de rédaction - Lexis/Nexis - France

Résumé

La consolidation ou mise à jour de la loi est assurément une opération doctrinale : elle consiste à intégrer dans un acte dit de base (code, loi, décret,...) des modifications de nature diverse, provenant de types de données jugés scientifiquement pertinents, selon une méthode préalablement définie, le cas échéant en procédant à des recherches et en mettant en œuvre des savoirs, des analyses et des interprétations. L’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi n’institue pas un devoir de l’État en matière de consolidation. En revanche, celle-ci constitue une activité possible de celui-ci mais non monopolistique sauf à procéder à une consolidation de portée normative, c’est-à-dire réalisée par l’autorité seule compétente (par exemple, le Parlement pour ce qui concerne la loi).

S’il faut déterminer des devoirs de l’État au regard de l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, c’est vers d’autres domaines qu’il convient de s’orienter. D’une part, il appartient à l’État d’assurer un accès satisfaisant à la source faisant seule foi, le Journal officiel, en le publiant par exemple, depuis son origine, sous un format « texte dur » et non pas seulement en « fichiers image ». D’autre part et surtout, il appartient à l’État de remédier aux graves défaillances du processus normatif français. Par exemple en interdisant ou en encadrant strictement certaines pratiques normatives (dispositions balai, modifications indirectes,...), notamment dans le cadre de l’élaboration d’un guide des pratiques normatives ; et en tirant les conséquences d’une réflexion approfondie sur le caractère excessivement détaillé et précis de la législation et de la réglementation nationale et sur l’instabilité chronique dont souffrent celles-ci.


La présente communication porte sur la nature de la consolidation ou mise à jour de la loi : constitue-t-elle un ensemble de positions doctrinales d’éditeurs ou un devoir de l’État, notamment au regard de l’objectif constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ?

Ce n’est sans doute pas sans malice que le comité scientifique de cette manifestation a adressé à l’éditeur que je suis ce sujet. J’accepte non sans plaisir de traiter de cette question qui présente quelque aspect polémique, du moins dans le contexte français.

Deux remarques préalables s’imposent :

D’une part, la consolidation est susceptible de recevoir plusieurs acceptions, différentes selon les ordres juridiques. Je cantonnerai mon propos à la seule consolidation qui est pratiquée en France : la consolidation dite « informative », laquelle n’a qu’une valeur strictement documentaire parce qu’elle est le fruit d’un travail technique et scientifique et, le cas échéant, éditorial. J’exclue la consolidation dite « constitutive », laquelle revêt une portée normative parce qu’elle emprunte la voie du processus normatif habituel. Pour la définir en un mot, la consolidation consiste « à intégrer dans un acte de base tous ses actes modificateurs » (Office des publications de l’Union européenne) [1] ou « à mettre un texte à jour des modifications de toute nature qui lui ont été apportées » (Juris-Classeur Codes et lois ») [2].

D’autre part, c’est le juriste que je suis également qui va tenter d’apporter quelques éléments de réponse, cette réponse étant seulement éclairée par l’expérience de l’éditeur. En d’autres termes, ma contribution n’exprime pas une position officielle des éditeurs privés ni même de la maison d’édition dont je suis le collaborateur, le Juris-Classeur / Lexis-Nexis France.

La consolidation constitue-t-elle un ensemble de positions doctrinales d’éditeurs ou un devoir de l’État ?

Je m’étendrai peu sur le premier aspect de la question. Compte-tenu du temps imparti, je me permets de renvoyer à la communication que j’ai présenté l’an dernier devant le groupe de travail sur « la confection de la loi », présidé par le Professeur Roland Drago à l’Académie des sciences morales et politiques, et qui sera prochainement disponible dans le cadre de la publication des travaux de ce groupe aux Presses universitaires de France [3].

La réponse ne fait aucun doute. La consolidation ne constitue pas « simplement [...] une technique de présentation des textes » (Légifrance) [4], résultant d’une opération mécanique de copier-coller de données publiées au Journal officiel dans des fonds éditoriaux. Au contraire, « la consolidation est assurément une opération doctrinale parce qu’elle consiste à intégrer dans un acte dit de base (code, loi, décret, ... en droit français) des modifications de nature diverse, provenant de types de données jugés scientifiquement pertinents, selon une méthode préalablement définie, le cas échéant en procédant à des recherches et en mettant en œuvre des savoirs, des analyses et des interprétations ». Ce caractère doctrinal explique pour une part non négligeable les innombrables divergences de rédaction entre de mêmes dispositions selon les fonds éditoriaux dans lesquels elles sont reproduites. Ces divergences s’évaluent probablement en dizaines de milliers entre les différentes sources éditoriales disponibles en France (Legi, Lex, les Codes des Éditions des Journaux officiels, les Codes Dalloz, les Codes Litec, Codes et lois ou la législation en ligne sur le site Lexis-Nexis France) [5].

Un seul exemple : la rédaction du premier alinéa de l’article L 651-4 du Code de la construction s’établit ainsi pour Légifrance et Dalloz : « Quiconque ne produit pas, dans les délais fixés, les déclarations prescrites (...) est passible d’une amende de 2 250 € [6] » ou ainsi pour Codes et lois et Litec « Quiconque ne produit pas, dans les délais fixés, les déclarations prescrites (...) est passible d’une amende de 0,75 à 1 200 € [7] »

Les rédactions consolidées, proposées par Légifrance et Codes et lois, de l’article L. 331-2 du Code de la consommation, du premier alinéa de l’article L. 1615-2 du Code général des collectivités territoriales, du troisième alinéa de l’article 366 du Code de procédure pénale ou des articles 138 à 153 du Code du domaine public fluvial fournissent un aperçu de ces divergences doctrinales, parmi une multitude d’autres.

Certes les divergences d’établissement de la lettre même de la loi applicable peuvent résulter d’erreurs « mécaniques » de consolidation. L’instabilité et la complexité croissante de la norme qui caractérisent le corpus législatif et règlementaire français depuis quelques décennies multiplient ce risque d’erreur. Mais ces divergences procèdent également de la dimension doctrinale de la consolidation. Les exemples de divergence donnés plus haut résultent de choix doctrinaux : chaque « éditeur » n’a pas jugé scientifiquement pertinent les mêmes types de données, n’emploie pas la même méthode, ne met pas en œuvre les mêmes savoirs et ne procède pas aux mêmes recherches, aux mêmes analyses et aux mêmes interprétations [8].

Je m’étendrai plus longuement sur le deuxième aspect de la question : la consolidation constitue-t-elle une position d’éditeur ou un devoir de l’État ?

Cantonner l’activité de consolidation à la seule compétence des éditeurs me semble réducteur : toute personne ou toute institution intervenant dans le domaine juridique est susceptible d’opérer une consolidation de lois ou de règlements. Ainsi Marjolaine Fouletier a joint à son commentaire de la réforme des procédures de référé devant le juge administratif, paru à la Revue française de droit administratif, une version consolidée des dispositions du Code de justice administrative modifiées par la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 [9]. De même, l’Institut national des appellations d’origine propose sur son site une version consolidée de nombreux textes régissant la matière des appellations contrôlées. Le terme « éditeur » est donc inapproprié. S’il est ici retenu, pour d’évidentes raisons de commodité, c’est en un sens extrêmement large (en tant que la consolidation fait l’objet d’une publication subséquente) [10].

En fait, la question centrale du sujet est de savoir si la consolidation constitue ou non un devoir de l’État. La réponse peut être apportée sous deux aspects. D’une part, il n’existe pas de devoir de l’État en matière de consolidation (I). D’autre part, en matière d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, les éventuels devoirs de l’État relèveraient prioritairement et logiquement d’un autre ordre (II).

I. - L’absence de devoir de l’État en matière de consolidation de la loi

Si l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité n’emporte pas d’obligation de consolider pour l’État (A) ... la consolidation n’en reste pas moins une activité possible pour lui (B).

A) L’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité n’emporte pas d’obligation de consolider pour l’État

La consolidation est-elle susceptible de constituer un devoir de l’État ? En particulier, l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, que le Conseil constitutionnel a créé en 1999 et précisé en 2003 [11], a-t-il engendré une obligation pour l’État en la matière ?

L’adage « Nul n’est censé ingoré la loi » constitue avant tout une présomption procédurale de connaissance de la loi [12]. En créant une nouvelle norme, le Conseil constitutionnel a établi à l’égard de l’État, qui est le destinataire principal de l’objectif, non une obligation de résultat mais une simple obligation de moyens, dont la détermination matérielle relève de sa compétence discrétionnaire. En effet, les normes que constituent les objectifs de valeur constitutionnelle présentent un caractère peu contraignant. La doctrine souligne d’ailleurs l’application extrêmement timide de l’objectif par le Conseil constitutionnel [13]. Ainsi, en affirmant que la codification à droit constant répond à cet objectif, le Conseil a seulement encadré la mise en œuvre de la codification par le pouvoir normatif, il ne lui en a pas fait une obligation. Surtout, il n’a pas précisé quels étaient les autres moyens de l’atteindre. L’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ne fait pas de la consolidation, non plus que de la diffusion d’un droit consolidé, une obligation pour l’État [14].

Le Conseil constitutionnel ne l’écarte pas non plus comme moyen pour le poursuivre.

B) Une activité possible de l’État

Contrairement au décret n° 96-481 du 31 mai 1996, le décret n° 2002-1064 du 7 août 2002 mentionne expressément les lois et règlements consolidés dans la liste des données mises à disposition par le service public de la diffusion du droit. Cette mention ne suffit pas à conférer à la consolidation le caractère d’une obligation pour l’État [15]. La question demeure donc d’ordre théorique ou doctrinal.

Dans cet ordre, trois points de vue peuvent être adoptés sur le rôle de l’État en matière de consolidation de la loi :

- la détermination de la loi applicable est une fonction essentielle de l’État : la consolidation en est un aspect et relève de la seule compétence de l’État, qui doit l’intégrer au service public et l’exercer sous forme de monopole ;

- L’État détient « la compétence de la compétence » : il lui appartient de déterminer ce qui est légalement autorisé et interdit, en exerçant son pouvoir normatif et en assurant la publication au Journal officiel des lois et règlements. La consolidation est affaire doctrinale, il n’appartient pas à l’État de s’en mêler.

- la consolidation est nécessaire à la connaissance de la loi applicable. L’État ne peut s’en désintéresser. Mais comme elle est susceptible de conduire à établir de différentes manières la loi applicable, il doit veiller à respecter et à favoriser la pluralité des sources.

Cette dernière opinion peut apparaître comme la plus raisonnable. La consolidation - et la diffusion d’un droit consolidé - est une activité possible de l’État, mais il ne doit pas l’exercer à titre de monopole, en raison du caractère doctrinal de la consolidation dite « informative ».

L’exercice sous forme de monopole ne serait concevable que dans le cadre d’un système de consolidation dite « constitutive » où l’autorité normative compétente pour prendre un texte ou le modifier serait seule compétente pour le consolider, et de manière systématique (par exemple, le Parlement en ce qui concerne la loi) [16].

Contrairement à ce que soutient Ramu de Bellescize [17], l’exercice à titre de monopole d’une consolidation de nature « informative » présenterait de graves dangers non seulement pour l’État de droit mais encore pour la qualité de la législation et de la réglementation diffusée [18]. Les situations de monopole, qu’ils soient publics ou privés, constituent des terrains peu favorables au développement de services de qualité. Or la menace de l’établissement d’un monopole de fait sinon de droit de Légifrance est bien réelle. La gratuité de l’accès à l’information mise à disposition, accompagnée d’un mécanisme peu contraignant de rediffusion des données, y contribue fortement. La « labellisation » du sceau de l’État du site Légifrance également.

Ce constat ouvre sur deux questions jamais abordées : celle de l’absence d’avertissemement systématique sur le statut de l’information diffusée sur Légifrance [19] ; celle de la fiabilité des données publiques à forte valeur ajoutée.

La consolidation ou mise à jour des lois et règlements est une opération d’une telle complexité qu’aucune publication, papier ou numérique, n’est en mesure de reproduire de manière entièrement fiable la législation et la réglementation en vigueur. Il est vain d’espérer, « une sécurité juridique incontestable » des textes [20] ou « une totale sûreté » [21] de leur mise à jour sur Légifrance comme dans toute autre source. Et l’on sait qu’il faut tout le savoir faire, parfois plus que centenaire, de maisons d’édition pour y tendre de manière relativement satisfaisante [22].

Quoiqu’il en soit, les éventuels devoirs de l’État en matière d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi relèveraient d’abord d’un autre ordre que celui de la consolidation.

II. - les éventuels devoirs de l’État en matière d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi

Les implications juridiques de l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi n’ont guère été définies. En approfondissant la question, la conclusion s’impose que les éventuels devoirs de l’État en la matière devraient prioritairement porter sur d’autres domaines que celui de la consolidation : une publication et une diffusion plus satisfaisante de la source faisant seule foi (A) ; surtout, une réforme du processus normatif (B).

A) Une publication et une diffusion plus satisfaisante de la source faisant seule foi

En matière de publication et de diffusion de la loi, le devoir premier de l’État est certainement d’offrir un accès exhaustif et efficace à la source faisant seule foi : le Journal officiel en « texte dur » (et non pas seulement en « fichiers images ») depuis son origine (y compris donc le Bulletin des lois l’ayant précédé). En effet, seul le format « texte dur » permet d’opérer les recherches extrêmement précises que requiert la connaissance exacte de la loi.

Il y a là un paradoxe : dans le cadre de sa mission, le service public de la diffusion du droit semble privilégier ce qui est second (la diffusion de données de valeur strictement informative, à très forte dimension scientifique et éditoriale) à ce qui est premier (la diffusion de la source faisant seule foi, comprenant des données à caractère objectif).

C’est en conséquence un éditeur privé qui se substitue à l’État dans l’activité de publication qui correspond à sa mission première : cet éditeur, Lamy en l’occurrence, offre un accès au Journal officiel en texte dur depuis 1955 alors que l’État ne le met à disposition que depuis 1990, et non sans imperfections. En effet, de nombreuses données sont mal structurées ou manquantes (par exemple, tableaux, images...).

D’autre part, le nouveau système de publication de la loi n’est pas sans poser de problèmes. Si l’on comprend la volonté de l’État de moderniser le mode de publication de la loi, on est conduit à s’interroger sur ses modalités, lesquelles conduisent :

- à une double publication de la source faisant foi dont les divergences feront l’objet d’un arbitrage laissé à la discrétion du juge [23] ;

- à la non publication dans la version papier d’un très grand nombre de textes (définis dans le cadre du décret n° 2004-617 du 29 juin 2004 dont la légalité apparaît incertaine).

Mais la définition d’éventuels devoirs de l’État en matière d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi devraient porter d’abord sur l’essentiel : le processus normatif, lequel est déterminant dans la poursuite de l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

B) La réforme du processus normatif

L’étude du processus normatif français conduit à dresser un constat extrêmement sévère : ses déficiences introduisent de très nombreuses incertitudes et malfaçons dans le corpus législatif et réglementaire, lesquelles sont autant d’obstacles à l’accessibilité et à l’intelligibilité de la loi. L’inflation et plus encore l’instabilité normative croissante, singulièrement ces toutes dernières années [24], les multiplient considérablement.

La codification systématique et statique (dite « à droit constant ») apporte d’ailleurs sa contribution en constituant un formidable accélérateur des maux dont souffre le corpus législatif et règlementaire français : inflation et plus encore instabilité ; augmentation considérable du volume des textes ; hyper-spécialisation et fragmentation du droit au détriment du droit commun [25].

Une réforme du processus normatif s’impose, qui devrait porter sur des aspects de technique normative comme de politique normative.

1/ Les aspects de technique normative

D’innombrables éléments de réforme sont envisageables. Une liste peut être dressée, sans ambition d’exhaustivité :

- la définition d’une technique normative plus aboutie.
Elle peut prendre la forme d’un guide rédactionnel. Elle peut également passer par l’interdiction ou l’encadrement très strict de certaines pratiques normatives (les dispositions balai ; les abrogation et modifications de dispositions strictement modificatives ; les modes de rédaction des dispositions modificatives ; ...) et par l’obligation de prendre certaines normes qui ne le sont pas ou pas systématiquement aujourd’hui (en particulier, la validation législative de la codification dite « permanente » des dispositions fiscales ; la prise des textes d’application nécessaires à l’application de la loi).

- l’abandon du projet de codification statique et systématique du droit français au profit d’une codification réformatrice et pragmatique dans son objet.

- le développement de la formation à la technique législative des rédacteurs des textes ou projets de textes (ainsi que celui de la science de la législation) ;

- le développement d’outils d’aide à la recherche et à la rédaction des textes, notamment d’outils informatiques ;

- la réformation sinon l’allégement des procédures internes d’élaboration des textes, dont les lourdeurs sont source de problèmes.

2/ Les aspects de politique normative

Deux aspects devraient nourrir une réflexion lourde de conséquences :

- l’instabilité chronique de la législation et de la réglementation ;
Elle constitue un puissant obstacle à l’accessibilité et à l’intelligibilité de la loi pour les professionnels du droit et par la même à son application effective. Il n’est même pas besoin d’évoquer la situation des citoyens non juristes.
L’accélération qu’elle a connue ces dernières années doit être soulignée. Quelques statistiques concernant le seul corpus contenu dans Codes et lois en offre un aperçu. S’il connaissait de l’ordre d’un peu plus de 5 000 modifications annuelles dans les toutes dernières années de la décennie 1990, il en connu près de 10 000 en 2000 et en connaîtra probablement plus de 15 000 en 2004, dont la moitié sont intervenues durant le seul été 2004 [26].

- l’ampleur du champ couvert par la législation et la réglementation et le caractère excessivement précis et détaillé de celles-ci.
Même s’ils envisagent des mécanismes alternatifs à la loi et au règlement, les pouvoirs publics éludent bien rapidement la question de la déréglementation [27]. Non pas la question d’une déréglementation dogmatique, d’essence libérale, mais celle d’une dérèglementation pragmatique. Le constat de Portalis, selon lequel la loi ne peut régir l’infinie diversité des situations dans une société parvenue à un très haut degré de complexité, vaut toujours d’être méditée. En un mot, les pouvoirs publics devraient mieux prendre en compte l’idée selon laquelle la loi, en son acception large, ne doit régir précisément que certains domaines et qu’elle doit garder un caractère de généralité dans d’autres. C’est la condition de son effectivité.

Conclusion

Les publications de textes consolidés jouent un rôle essentiel en matière d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Et leur pluralité est un élément déterminant dans le bon accomplissement de ce rôle, notamment en raison du caractère doctrinal de la consolidation dite « informative ». Mais, quelque soit la richesse et l’intérêt qu’offre leur pluralité, ces publications ne pourront pas remédier de manière entièrement satisfaisante aux lourdes défaillances du processus normatif français, lesquelles conduisent probablement à affecter de méconnaisance et donc d’ineffectivité une part sans cesse croissante de la législation.

Que peut spécifiquement l’Internet pour la loi ? Il rend incontestablement d’immenses services, notamment en termes de diffusion et d’accès à la loi. Mais il ne pourra non plus remédier aux défaillances qui viennent d’être mentionnées.

En outre - qu’il me soit permis en conclusion de tenir un propos emprunt de malice - , il n’est jamais qu’un outil, avec ses contingences propres. De ce fait, il peut aussi, pour une part, contribuer à affaiblir la poursuite de l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. En particulier, les exigences d’exhaustivité et d’instantanéité qu’engendre l’internet (ou, plus exactement, la perception qu’en ont ses utilisateurs) présentent des risques en termes de fiabilité des données diffusées. Ces risques ne sont probablement pas très bien mesurés. Pourtant il est manifeste que ces exigences d’exhaustivité et d’instantanéité sont peu compatibles avec l’extrême précision et l’indispensable recul que requièrent les activités doctrinales, au nombre desquelles figure la consolidation.


[1Site Eur-Lex. Un texte de base s’entend d’un texte d’origine, comprenant des dispositions « autonomes », par opposition à un texte modificatif.

[2Préface, § I, p. 1.

[3H. Moysan « Le caractère doctrinal de la consolidation de la loi » in La confection de la loi : PUF (à paraître).

[4Site Légifrance, rubrique « à propos du droit », point 5.2

[5Pour mémoire, Légifrance reproduisait, en 2002, 196 000 articles de codes et de lois ou règlements en vigueur (D. Christophe, « Un droit mieux connu est un droit mieux accepté » (entretien) : AJDA 2002,p. 721).

[6Nous soulignons.

[7Nous soulignons.

[8À ce titre, la préface de Codes et lois donne un aperçu des principales composantes de la ligne employée par le Juris-Classeur dans ses encyclopédies de textes consolidés.

[9M. Fouletier, « La loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives » et « annexes » : RFD adm. 2000, p. 963 et 984.

[10La référence à l’État apparaît elle-même réductrice. La question se pose de savoir quel organe de l’État peut se livrer à une consolidation de la loi. La Direction des Journaux officiels l’effectue dans le cadre de la base Legi, le Secrétariat du Gouvernement dans le cadre de la base Lex. Le Conseil constitutionnel s’est lui-même lancé dans une activité de consolidation des textes modifiés par les lois qui lui sont déférées.

[11Cons. const. n° 99-421 DC, 16 déc. 1999 : JO 22 déc. 1999, p. 19041 ; n° 2003-473 DC, 26 juin 2003 : JO 3 juill. 2003, p. 11205.

[12V. J. Carbonnier, « La maxime Nul n’est censé ignoré la loi en droit français » : Journées de la société de législation comparée, 1984, pp. 321 et s. ; R. Guillien, « Nul n’est censé ignoré la loi » in Mélanges en l’honneur de Paul Roubier : Dalloz, 1961, t. I, pp. 253 et s. ; F. Terré, « Le rôle actuel de la maxime nul n’est censé ignorer la loi » in Travaux de l’institut de droit comparé de l’Université de Paris : éd. Cujas, 1966, t. XXX, pp. 91 et s.

[13Par exemple, C. Bergeal, Rédiger un texte normatif : Berger-Levrault, 5e éd., 2004, n° 9, p. 22 ; P. de Montalivet, « La juridicisation de la légistique : à propos de l’objectif de valeur constitutionnelle d’acessibilité et d’intelligibilité de la loi » in La confection de la loi : PUF (à paraître).

[14V. néanmoins P. Deumier, « Des myriamètres à l’internet : les nouvelles règles d’entrée en vigueur de la loi » : RTD civ. 2004, p. 585 (à propos du changement de philosophie du système de connaissance de la loi induit par l’ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004).

[15Sur le fait que ce décret ne constitue pas un décret d’application de l’article 2 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, V. B. Stirn et S. Formery, Code de l’administration : Litec, 2004, n° 28, p. 23.

[16Cette systématisation du modèle proposé par Jean Picq (J. Picq (prés.), L’état de la France, rapport au Premier ministre : La doc. fr., 1995, p. 15) a connu deux timides commencement de mise en œuvre : la loi du 1er août 1905 relative aux fraudes et falsifications et l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers ont été respectivement publiées à jour de leurs modifications en annexe à la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 (JO 11 janv. 1978) et au décret n° 91-902 du 6 septembre 1991 (JO 13 sept. 1991), sans pour autant revêtir une portée normative.

[17R. de Bellescize, Les services publics constitutionnels : Thèse, Paris II, 2004, spéc. p. 282-283.

[18V. H. Moysan, préc.

[19Contrairement à la pratique des autres sites publics, tels que ceux du Conseil constitutionnel ou de l’Union européenne, qui mentionnent sur toutes les pages que l’information diffusée l’est à titre strictement documentaire.

[20D. Mandelkern, La qualité de la réglementation : La doc. fr., 2002 (http://www.ladocumentationfrancaise.fr/, bibliothèque des rapports publics, p. 25.

[21Commission supérieure de codification, Treizième rapport annuel (2002) : Éd. des Journaux Officiels, 2003, p. 15.

[22V. P. Catala, Avant propos au Code civil Litec.

[23O. Guillaumont, « La réforme des règles d’entrée en vigueur des lois et règlements » : JCP G 2004, n° 11, Actualités, p. 433 ; P. Deumier , « Des myriamètres à l’internet... », préc.

[24V. le dossier spécial « Inflation législative galopante : l’exemple de l’été 2004 », publié dans l’ensemble des revues de Juris-Classeur/Lexis-Nexis France.

[25Sur les très vives critiques émises par la doctrine à l’encontre de l’entreprise de codification menée depuis 1989, V., entre autres, parmi une littérature abondante, A. Bied-Charreton, « Un procédé qui verse dans l’abstraction » (entretien) : La Tribune, 21 nov. 2003, p. 25 ; D. Bureau et N. Molfessis, « Le nouveau Code de commerce : une mystification » : D. 2001, chron., n° 17, p. 361 ; S. Guy, « La codification : une utopie » : RFD const. 1996, p. 273 ; N. Molfessis, « Les illusions de la codification à droit constant et la sécurité juridique » : RTD civ. 2000, p. 186 ; « Le Code civil et le pullulement des codes » in Le Code civil : un passé, un présent, un avenir : Dalloz, 2004 ; H. Moysan, « La codification à droit constant ne résiste pas à l’épreuve de la consolidation » : Dr. adm. 2002, chron. n° 7 et JCP 2002, G, I, n° 147 ; G. Taormina, « La codification est-elle encore utile ? Éléments pour une méthodologie historique » : RRJ 2002, n° 1, p. 22 ; F. Terré et A. Outin-Adam, « Codifier est un art difficile (à propos d’un ... code de commerce) » : D. 1994, chron., p. 99.

[26V. le tableau synthétique figurant dans le dossier spécial publié dans les revues du Juris-Classeur / Lexis-Nexis.

[27V. à ce sujet le rapport Mandelkern, qui a reçu l’adhésion du Premier ministre, préc.

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